Émilie Lagarde

Dans le sous-bois clos et secret, dense comme un monde, vit une étrange société. Des hommes, des femmes, des enfants sont rassemblés ici, dans les clairières, autour des mares. Nus, immobiles, dans une humanité mal définie, à hauteur animale, et que semblent définir d’étranges rituels : fêtes, baignade, chasse. Des masques, des processions.
On aperçoit des ombres, entre les arbres, des silhouettes nous tournent le dos. Des visages suspendus. Certains restent là, à l’intérieur de leur rêve, d’autres nous regardent comme si nous les avions dérangés, les yeux vides, comme si nous n’avions rien à faire là. Que nous n’avions pas à être leurs témoins. Ce monde ne semble pas avoir d’entrée, ni d’issue. Peut-on même le pénétrer ? Il est imperméable à notre temps, tant ces personnages paraissent liés – comme envoûtés – par le sous-bois, leur existence tendue par un sens souterrain de la communauté. Le monde immobile que peint Emilie Lagarde, dissimulé dans l’obscurité de la forêt, pose en creux la question de la parole. Tout est silencieux dans cette société dont la communication semble passer plutôt par le symbole et le rituel que par la langue. On devine des murmures, on dialogue avec les animaux, c’est tout. Comme si ces êtres, dont l’identité profonde reste mystérieuse, étaient sortis du langage.

François Heusbourg.